Cette semaine a été un peu particulière pour moi puisque j’ai fait un aller-retour éclair en France pour être avec mon papa le jour de ses 80 ans. Je vous ai déjà parlé de lui ici et ici. Je n’avais pas forcément prévu de rentrer mais quand on m’a annoncé qu’une petite sauterie s’organisait dans une grande brasserie lyonnaise, je me suis dit que je ne pouvais pas louper cela et j’ai réservé mes vols dans la foulée. C’est que j’en ai manqué des choses depuis plus de 20 ans que j’ai quitté la France : des anniversaires, des fêtes de fin d’année, des trucs moins marrants que l’on vit un peu anxieux au bout du fil en espérant de bonnes nouvelles, ne pas pouvoir revoir ma mamie, bien sûr, qui est partie alors que je vivais en Chine.
Depuis mon départ pour l’Espagne en 2003, la technologie a certes évolué – l’idée que je puisse voir apparaître le visage de mes parents sur mon téléphone et les appeler gratuitement appartenait encore au domaine de la science-fiction. Mais si Whatsapp ou Facetime donnent l’illusion d’abolir les distances, il ne faut pas s’y méprendre : je ne suis pas auprès d’eux. J’imagine que chacun a ses propres mécanismes pour gérer ce qui s’apparente parfois à de la culpabilité. Depuis plus de 20 ans que j’ai quitté la France et que je fréquente des gens qui comme moi vivent loin de chez eux, une des phrases que j’ai le plus entendue est une variation de “mes parents ne rajeunissent pas”, “mes parents ne se font pas jeunes” ou encore, plus direct, “mes parents vieillissent”. Je sais que nombreux sont ceux qui finissent par rentrer ou essaient de se rapprocher géographiquement. De mon côté, je rentre les voir deux fois par an depuis que je me suis rendu compte que les Noëls en Thaïlande – aussi radieux fussent-ils – étaient aussi des occasions manquées de passer plus de temps avec ma famille en pleine santé.
Je sais que plusieurs membres de notre communauté ont été durement touchés récemment par la perte d’un proche – raison de plus pour apprécier la chance que j’ai d’avoir encore mes deux parents. Et raison de plus pour mettre de côté pendant quelques heures l’homologation, les réunions et le travail en général pour passer un moment aussi festif que symbolique avec ma famille. C’est que 80 ans, quand même, ça n’est pas rien. Ça vaut son pesant de souvenirs et d’anecdotes, ça fait beaucoup de cicatrices, de hanches en titane et de genoux reconstruits. C’est aussi une belle relation qu’il a nouée avec ses petits-enfants et bien sûr une longue, longue histoire d’amour avec ma maman – ils se sont mariés en décembre 1967, il y a bientôt 58 ans (les noces d’érable m’informe ChatGPT). Mon papa, ma maman, ma soeur sont pour une source d’inspiration infinie. Je pense à eux bien plus souvent que je ne les appelle et j’en ai bien peur, bien plus souvent qu’ils ne le croient. Les retrouver pour quelques heures cette semaine, autour d’un repas et d’une bouteille de St Joseph particulièrement enthousiasmante, m’a fait beaucoup de bien. Ce voyage était finalement un geste un peu égoïste et sans doute que des quatre c’était moi le plus heureux.
Sur le chemin du restaurant, dans le métro, un jeune inconnu s’est levé immédiatement pour laisser sa place assise à mon père. Il a vu un vieux monsieur aux cheveux tout blancs et à la silhouette un peu frêle. Il a 80 ans, je le sais, mais il reste pour moi cet homme si fort qu’il a terrassé le destin qui lui prédisait son enfance et qui m’a appris à ne jamais renoncer à mes rêves. C’est sans doute pour cela que je suis à New York aujourd’hui, avec vous tous. Je le lui dois. Comme quoi même pour son anniversaire, c’est encore lui qui me fait un cadeau.

