Et nous voilà, j’ai peine à le croire, déjà arrivés aux premières vacances de l’année. Parmi tout ce qui s’est passé depuis la rentrée, je voudrais revenir sur la journée de vendredi dernier que nous avons passée, une fois n’est pas coutume, sans les élèves. Cela a été l’occasion pour nous d’avoir une formation avec Sophie, inépuisable et talentueuse, sur la conception universelle des apprentissages – un concept dont je vous reparlerai – qui nous a tous scotchés. Et, plus tôt, de rencontrer Emmanuelle Piquet, une psychologue spécialiste des questions de harcèlement scolaire.

Lorsque Sophie et Stéphanie sont venues me faire les yeux doux pour que je débloque le budget nécessaire à son intervention, je n’ai pas hésité une seconde. D’abord parce que, croyez-moi, elles savent être très convaincantes, mais aussi parce qu’à The École nous ne sommes pas immunisés contre le harcèlement et que nous avons tous trois en tête quelques histoires, heureusement assez rares mais un peu douloureuses et mal résolues qui nous ont laissé une certaine amertume. La définition de la stupidité étant de continuer à utiliser la même recette mais espérer un résultat différent, nous avons décidé d’explorer d’autres pistes. Et qui mieux qu’Emmanuelle Piquet, une pointure dans son domaine et armée d’un discours volontairement provoquant, pour nous aider à réfléchir.

Et nous n’avons pas été déçus. Emmanuelle est une oratrice remarquable qui manie le sarcasme à merveille. Son humour fait souvent mouche, elle semble digresser, mais soudain le ton change et d’une seule phrase, une seule remarque, elle dit la violence inouïe de ce que vit un enfant harcelé. Elle nous la fait sentir de manière si vivace que nous regrettons d’avoir osé rire une minute plus tôt. Emmanuelle n’y va pas par quatre chemins – c’est que son métier c’est de faire cesser la souffrance immédiatement, quand le nôtre est de créer jour après jour un environnement dans lequel cette souffrance ne peut exister. C’est dans cet écart de perception, dans ce croisement des regards, que la conférence est la plus riche et que nous sommes le plus bouleversés dans nos habitudes.

On apprend – ou peut-être savait-on déjà mais feignait-on de l’oublier – que le harceleur se nourrit de la douleur de celui qu’il harcèle, qu’il y prend du plaisir. On apprend, l’expérience a été faite par des chercheurs, que les ados sont instinctivement capables de reconnaître parmi les portraits qu’on leur montre celui ou celle de leur pair qui est victime de harcèlement. On apprend que le harcèlement est invisible aux adultes, que lorsqu’ils s’en mêlent c’est le plus souvent inefficace, voire catastrophique. On apprend que le monde de l’entreprise et son langage ont envahi les cours de récréation (« Là tu vois on a une réunion stratégique, donc tu peux pas venir avec nous »). On apprend que le groupe est dangereux, et qu’il vaut mieux pour les enfants aller chercher les solutions dans les relations individuelles.

Dans la salle, on regrette peut-être un mot qu’on a eu un jour, on se reconnait dans certaines situations, on rougit un peu d’avoir fait très exactement et avec les meilleures intentions du monde ce qu’Emmanuelle nous dit qu’on n’aurait pas dû faire. Certains collègues ont pris la parole, ont partagé une histoire, un doute, parfois exprimé leur défiance. On n’a pas, sans doute, trouvé toutes les réponses, mais on a quand même fini sur une belle note d’espoir quand Emmanuelle nous a parlé de cet enfant isolé que sa professeure a appris à aimer tous les jours un peu plus jusqu’à ce que ses camarades n’aient plus d’autre choix que de l’aimer eux aussi.

Alors voilà de quoi on rêve nous, à The École: aimer vos enfants si forts que rien de mal ne puisse jamais leur arriver