J’espère que chacun a repris le rythme après cette pause de deux semaines et que tout le monde est prêt à aborder la dernière partie de l’année scolaire. En rentrant de Taiwan, où j’ai passé des vacances pleines de retrouvailles à la fois joyeuses et émouvantes, je me suis aperçu que des petits lutins étaient passés dans l’école pour coller un peu partout des étiquettes sur les meubles. Des étiquettes vertes sur ce qui sera demenagé dans notre nouveau batiment ; des jaunes sur ce qui restera sur place et des rouges sur ce qui ne fera pas le court voyage et sera donc jeté ou donné.
Je me souviens que la première fois qu’une école a inclus un déménagement dans mon contrat, c’est-à-dire qu’au-delà du proverbial sac à dos dont j’avais l’habitude, on m’offrait la possibilité d’emmener gratuitement ce que je voulais dans un container, j’ai pris tout ce que je pouvais sans réfléchir une seconde : des appareils électriques aux prises inadaptées, des vêtements dont je n’aurais jamais l’usage, et même des carrés de sucre parce qu’ils étaient tout simplement dans des boites que je voulais conserver,…
Dans mon container entre Taiwan et new York, j’avais mis sans même m’en rendre compte les bruits de la ville (le vrombissement des scooters, la musique douce qui annonce l’arrivée du métro, le jingle à l’ouverture des portes du 7-Eleven), ses odeurs aussi (celle des rues après l’orage, celle des huiles essentielles dont se recouvrent les papis et la mamis qui partent tôt le matin marcher dans la montagne, celle des bouibouis et des étals dans les marchés). Et puis bien sûr il y a les gens, ceux avec qui on a gardé contact, ceux dont on n’avait pas de nouvelles, ceux dont on avait vaguement fait la connaissance mais dont les visages pourtant me ramènent à un moment, à un endroit qu’on pensait avoir oublié. J’avais mis tout ça dans mes bagages en partant de Taiwan et d’une certaine manière il est étrange de les retrouver quasi identiques – ceux qui sont restés trouvent tout changé.
Évidemment à The École – appelons cela l’intelligence collective – on ne déménagera pas n’importe comment. Cela fait des mois que nous réfléchissons à ce que nous emporterons comme à ce que nous laisserons derrière nous. Ces choix et ces décisions sont concrets mais il m’a été difficile ces derniers jours d’en ignorer la valeur symbolique. Comme chaque année en effet, des familles nous ont annoncé leur départ de New York quand d’autres sont en train de préparer leur arrivée. Les nouvelles familles viendront avec leurs propres souvenirs, leurs propres attentes et leur propre idée de The École. Les familles qui s’en vont font la liste mentale de ce qui leur manquera le plus : un professeur, un camarade ou un ami ; un spectacle, un pique nique ou une soirée. Ceux qui restent assureront le lien entre les deux : on évoquera ceux qui nous manquent tout en accueillant ceux qui arrivent. Imperceptiblement, l’école changera sans doute un peu.
J’ai passé donc une dizaine de jours à métaphoriquement ouvrir des cartons et à me plonger dans le passé. J’en ressors avec la certitude que même si nous collons des étiquettes sur les meubles, nous emmènerons avec nous au 115 bien plus que des meubles mais tout l’esprit de The Ecole : les histoires qu’on s’y raconte, les légendes qui s’y sont créés, les fous rires avec les copains et les collègues et cette pure énergie qui habite le bâtiment aussitôt que les enfants y entrent le matin. Ce sont les gens qui font une école et les gens de The École font partie de ceux, on le sait déjà, qu’on ne pourra pas oublier et qu’on emmènera partout avec nous.
Excellent weekend à tout le monde !
Merci à Thomas, le papa de Justine et Joséphine, passé hier par mon bureau récupérer un roman qu’il m’avait prêté et dont la conversation m’a inspiré cette lettre.